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LA RECONQUÊTE DES TERRITOIRES OCCUPÉS.

Pendant que maman Félicie faisait des courses en compagnie du petit enfant inconnu tombé du ciel (ignorant son nom, elle l'avait baptisé « Bruno » à cause de son teint sombre et de ses cheveux noirs), son employée de maison, comme on dit puis en parlant des anciennes bonnes à tout faire, repassait un costume de M. Antoine.

Elle s'appliquait, sachant combien le fils de sa patronne détestait les doubles plis de pantalon et les cloques aux revers de veste. Il n'avait rien d'un maniaque pourtant et l'honorait volontiers d'un coup de bite à l'occasion, ne dédaignant pas les étreintes ancillaires.

Il possédait une verge de belle prestance dont il se servait à merveille, ajoutant à cela une technique très « pointue », un esprit inventif peu commun dans le royaume de Juan Carlos. Elle appréciait fort, entre autres délices, sa chevauchée cosaque assortie d'un doigt mouillé dans l'œil de bronze.

Elle fut tirée de son évocation érotique par une voix soudaine, sortie de nulle part. Voix qu'elle estima céleste sans barguigner et qu'elle attribua immédiatement au Seigneur. D'où miracle !

Cependant, elle était incommodée par le fait que l'organe en question s'exprimait en anglais, dialecte dont un emploi dans un hôtel lui avait enseigné quelques mots.

La gentille exilée savait que Dieu comprend toutes les langues de la planète, mais croyait qu'Il ne prenait la parole qu'en castillan.

Sa stupeur surmontée, elle tendit davantage l'oreille, allant jusqu'à la poser contre le vêtement en cours de repassage.

La chère fille perçut encore quelques syllabes et ne tarda pas à découvrir qu'elles sortaient de la petite boîte plate trouvée quelques semaines plus tôt dans une poche de Monsieur.

Cette fois l'objet l'effraya. L'ayant longuement examiné, elle le reposa sur l'étagère à côté du vieux poste de radio qui, depuis des lustres, s'obstinait à fonctionner.

Pilar (son état civil comportait à peu près tous les prénoms féminins du calendrier) avait le cœur plus serré qu'un poing communiste. Les nerfs tendus, elle redoutait (en l'espérant confusément) une nouvelle manifestation sonore de la boîte.

Rien de tel ne se produisit.

Au bout d'une heure, elle alla renouveler son Tampax et but une forte goulée de Malaga à la bouteille rapportée à sa patronne, de ses dernières vacances.

***

Le basset se passa une langue longue comme une traîne de mariée sur les roustons et reprit le cours de sa méditation. C'était la première fois qu'il égorgeait quelqu'un. La victime avait beau n'être qu'un homme, et qui plus est un criminel, ce sauvage réflexe le troublait. Cela dit, sans son intervention, l'ami de son maître serait mort, donc il avait accompli un acte salvateur.

Depuis plusieurs jours le prêtre asiatique louait une chambre à Mme Goguenuche, la brave « logeuse » de Salami. D'emblée, le personnage avait éveillé la suspicion de ce chien hors pair (mais pas hors paire). Le hound avait décidé de rester sur place pour le surveiller, voire prévenir les mauvais desseins dont il le sentait animé. Bien lui en avait pris.

Le brave clébard regrettait déjà d'avoir décliné l'invitation du bonhomme, car il pressentait confusément que Félix n'en avait pas terminé avec ses ennemis. D'autre part, l'égorgement du Jaune, près du confessionnal, déclencherait un patacaisse du diable ! Le signalement de l'animal serait diffusé et les services de la fourrière, épaulés par la poulaillerie, chercheraient ce basset dans tout le 18e.

La décision du valeureux toutou fut rapidement arrêtée. Il absorba, en hâte, quelques morceaux de Canigou dans son écuelle, et fila prestement.

Heureusement, Galochard puait des pinceaux. Salami n'eut aucune difficulté à relever sa trace.

***

Dans la crypte du château de Saint-Julien-l'Hospitalier, la gendarmerie de l'Eure, assistée des Services de la Croix-Rouge (en anglais Red-Cross), s'occupait activement de libérer, et de donner les premiers soins aux prisonniers pitoyables du gourou, lequel, malgré les avis de recherche demeurait introuvable.

Beaucoup des séquestrés étaient dans un état critique et respiraient d'une façon précaire. On avait dressé une tente sanitaire dans le parc pour prodiguer les soins de première urgence. Les pauvres victimes, parmi lesquelles le général Godefroi Haumiche, se tenaient lovées sur les civières, en position foetale.

Un brigadier au kebour de traviole demandait leur identité à ceux qui pouvaient encore parler. Il la notait sur des feuillets fixés à une planchette de bois. Il ne s'agissait pas encore de déposition, seulement de dresser la liste de ces gens sortis de l'enfer.

Le gendarme parvint devant un très vieil homme à la barbe longue et soyeuse comme celle de quelque magot chinois. Ses orbites ressemblaient à des cratères lunaires. Il lui adressa un sourire compatissant.

- A vous, grand-père, fit-il. Vous pouvez me dire votre nom ?

Le presque mourant acquiesça, et murmura très bas :

- Je suis le père Pierre Chatounet.


[San Antonio – 174] – Lâche-le, il tiendra tout seul
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